vendredi 30 décembre 2016

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vendredi 16 décembre 2016

La bulle médiatique menace-t-elle la démocratie ?

Des chaines de télévisions privées chargées d’organiser les débats politiques officiels, la quasi-totalité des médias et organes de presse détenus par des grands groupes industriels, des journalistes accros aux taux d’audience, une population ultra connectée et adepte des réseaux sociaux, des chaines d’information continue en forte progression, la mise en concurrence des médias du service public avec le privé (1)… le système médiatique Français n’a plus rien à envier à son grand frère américain.
Or, aux Etats-Unis, les médias ont joué un rôle décisif dans le déroulement de l’élection présidentielle.
Doit-on s’attendre aux mêmes effets en France ? Quel est le degré d’objectivité de la presse Française et dans quelle mesure influence-t-elle le débat démocratique ? Pour tenter de répondre à ces questions,  l’observation de ce qui vient de se passer aux Etats-Unis constitue une première clé de compréhension.

L’enseignement américain

Nous avons évoqué à plusieurs reprises le rôle joué par les médias américains dans l’élection de Donald Trump, néanmoins, il est utile de revenir sur certains phénomènes précis.

1)    Donald Trump et la course à l’audience
Au cours des primaires républicaines, le président de CNN aurait déclaré « Trump est un désastre pour les américains, mais une bénédiction pour CNN » (2). Celui-ci, bien conscient de cette dynamique, a surfé sur ce phénomène pour s’imposer rapidement comme objet central des primaires auquel chaque candidat allait devoir se confronter. En se précipitant à son chevet, en commentant chacun de ses tweets et chacune de ses sorties, les grandes chaines américaines lui ont fourni une publicité sans précédent, dont la valeur commerciale se chiffrait en milliards de dollars (3). La rigueur et l’objectivité auraient imposé de traiter ses élucubrations comme des propos déplorables ne méritant surtout pas d’être pris au sérieux ou discutés dans des débats contradictoires à grand renfort de prétendus experts, invités à tenter de chiffrer le coût de la construction d’un mur de béton.
Au-delà du traitement particulier du personnage, c’est cette fameuse surenchère médiatique courant après l’audience, donc après l’émotion, qui a fait le lit des idées de Donald Trump en entretenant un climat de peur et d’inquiétude depuis des années. En France,  Jacques Chirac s’était fait réélire en faisant campagne sur l’insécurité avec la complicité (consciente ou non) des JT diffusant soir après soir des reportages plus spectaculaires les uns que les autres sur les « quartiers sensibles ».
Or, la course à l’audience et à la rentabilité financière favorise nécessairement l’émotion, les faits divers, les commentaires et les personnes au détriment de la réflexion, de l’analyse, des idées et des programmes politiques. Les candidats sachant exploiter ces phénomènes se voient ainsi avantagés par rapport à ceux qui proposent des réponses plus complexes et réfléchies. Donald Trump constitue l’exemple le plus criant d’un phénomène bien connu.

2)    Bernie Sanders et l’objectivité des journalistes
Bernie Sanders apportait des idées nouvelles, transgressant le cadre établi. En particulier, la remise en question des institutions américaines, des médias, du mode de financement des campagnes politiques et du statut des institutions financières de Wall Street. Il proposait la gratuité de la santé et de l’éducation, dénonçait les traités de libre échange et proposait d’augmenter massivement les salaires.
Au lieu de s’emparer de ces idées, les grands médias de gauche et leurs éditorialistes se sont livrés à une campagne de décrédibilisation d’une violence inouïe, allant jusqu’à accuser Bernie Sanders d’antisémitisme (4). Le parti pris sans précédent de l’ensemble de la presse de gauche finit par couter de justesse la primaire au vieux sénateur, victime du « système » qu’il dénonçait. Le fait que ce parti pris ait permis à Donald Trump de se faire élire n’entraine aucune remise en question des fameux éditorialistes américains. Loin de faire leurs mea culpa, ils se déchainent sur tout ce qui bouge afin d’expliquer la défaite de Clinton : les institutions politiques américaines, les Russes, le FBI, les réseaux sociaux, le racisme des électeurs de Trump...

3)    Les nouveaux médias
Les « nouveaux médias », comprendre les médias présents sur internet et relayés par les réseaux sociaux, ne sont que le produit logique de l’accélération des modes de consommation, la généralisation d’internet et la recherche de sources d’information alternatives aux médias classiques.
Le problème, c’est que ces nouveaux médias sont également biaisés, du fait de leur nature intrinsèque. La qualité même de l’information est parfois discutable, et dans certains cas, purement et simplement erronée.
Citons un exemple parmi d’autres. La semaine dernière, un homme est entré dans une pizzeria américaine armé d’un fusil d’assaut AR-15 et a ouvert le feu pour menacer les employés. L’homme était persuadé d’agir en héro après avoir lu des fausses informations accusant le restaurant de séquestrer des enfants dans sa cave. Ce fait divers qui aurait pu causer la mort d’innocents pizzaïolos met en lumière le problème de l’information par internet.
En plus de faciliter et d’amplifier la propagation des fausses informations, les réseaux sociaux présentent un second effet pervers : ils créent des « bulles de filtre » qui privent les utilisateurs d’une vision objective du réel. Les utilisateurs sont victimes de la partialité des sources qui leur parviennent via leurs cercles d’amis et de l’action des algorithmes qui poussent vers eux les contenus susceptibles de les intéresser tout en filtrant le reste, bloquant ainsi l’accès aux opinions contradictoires (5).
Pour lutter contre ce nouveau « fléau », les fact checkeurs des grands médias (comme « les décodeurs ») font leur apparition, avec la sainte mission de lutter contre les « intox » et de relever les mensonges des politiques. Car, fait à priori nouveau, les candidats mentent désormais ouvertement. Le fameux « mon ennemi, c’est la finance » a laissé place à des diatribes plus virulentes comme « les mexicains sont tous des violeurs et des trafiquants de drogues » et « les élections sont truquées ».  
Les  « décodeurs » du monde.fr constitueraient le rempart contre la politique « post vérité », prêt à pourfendre les bulles subjectives créées par les nouveaux médias.
Mais si les décodeurs évoluaient eux aussi dans une bulle et procédaient à un filtrage des idées, ne seraient-ils pas encore plus dangereux que les algorithmes de Facebook et Google ? D’où cette question, nos médias sont-ils réellement objectifs et, en tant que quatrième pilier de la république, garants de la démocratie ?

Les médias en France


Pour vous faire une idée précise de l’état déplorable du système médiatique français, je vous recommande l’excellent documentaire « les nouveaux chiens de garde » ou plus court et également intéressant, la vidéo d’Usul « lejournaliste ».
Selon les principaux intéressés, le système médiatique repose lui-même sur trois piliers : l’indépendance, le pluralisme, et l’objectivité.

L’indépendance ne trompe plus grand monde. A l’exception des chaines du service public, 99% des médias français sont détenus par des grands groupes financiers, comme l’illustre la carte ci-dessous produite par Acrimed pour Le Monde Diplomatique.


Si certains journalistes refusent d’admettre que leur ligne éditoriale puissent être influencée par leurs patrons, d’autres vont jusqu’à trouver cela normal (6).
Quant au service public, ses dirigeants sont directement nommés par le pouvoir politique. Il suffit de citer l’exemple de l’arrivée de Philipe Vals à la tête de France Inter, reconnaissant sans aucun complexe qu’il était normal de déprogrammer deux humoristes dont l’impertinence nuisait au président de la république, pour comprendre que l’indépendance est toute relative.
Les principaux journalistes et éditorialistes vedettes sont également en conflit d’intérêt personnel. Grassement payés par les chaines de télévisions et les radios, régulièrement invités sur les plateaux des émissions politiques, publiant des livres qui sont évoqués à chacun de leurs passages télévisés et souvent payés par des entreprises privés pour donner des conférences, quels intérêts auraient-ils à se montrer trop critiques, trop impertinents, trop clivant ?
Ainsi, il parait difficile d’en vouloir aux journalistes qui ne font qu’évoluer dans un système hautement concurrentiel et carriériste duquel ils dépendent.

Si l’indépendance est une farce, au moins reste-il le pluralisme, garant du débat contradictoire et des opinions alternatives, non ?
Non. Le fait que tous les grands titres de presse écrite soient détenus par des intérêts financiers privés et que les principaux journalistes « vedettes » aient des intérêts personnels à maintenir le statu quo n’encourage pas à croire au pluralisme de la presse. Mais au-delà de ce fait troublant, c’est l’interchangeabilité des principaux éditorialistes et leur longévité qui inquiète. Non seulement ils vont et viennent entre le service public et les médias privés, mais dans certains cas, ils passent volontiers d’organes de presse de gauche à droite.  Leurs connivences avec le système politique rend tout réel pluralisme des idées assez questionnable et explique pourquoi aucun grand média ne remet ouvertement en cause l’ordre établi, ce fameux « système » qui les fait vivre (7). Il suffit d’observer des cas concrets comme l’encensement d’Alain Juppé par tous les hebdomadaires ou l’engouement unanime et réellement troublant pour Emanuel Macron (8) pour se rendre à l’évidence de l’état alarmant du pluralisme de la presse française.

Reste l’objectivité, à priori garantie par l’intervention d’une autre catégorie d’acteurs : les experts.
Hélas, il suffit d’un rapide travail de mémoire pour se rendre compte du niveau d’incompétence de ces fameux experts. Depuis des années, les mêmes individus reviennent sans arrêt apporter leur opinion, en particulier en économie et politique, et ce malgré le fait qu’ils se soient systématiquement trompés sur toutes les grandes questions qui leur ont été posés. La crise économique des subprimes, la crise de la dette, les conséquences des politiques d’austérité ? Pas vu venir.  Le non au traité européen, la victoire du Brexit, l’élection de Donald Trump, les conséquences de la guerre en Libye ? Pas vu !
Et pourtant, qui est invité à commenter la victoire de Trump ? Le même BHL national qui nous avait entrainés en Libye. Comme si la France n’avait pas d’autres intellectuels plus compétents sous la main.
Depuis vingt ans, ce sont les mêmes, d’Attali à Eli Cohen, de Martin Hirscht à Alain Minc, d’Apathie à Duhamel, qui viennent nous expliquer que le programme de Mélenchon ne tient pas debout, que les verts n’ont rien compris aux enjeux énergétiques et que le vote FN progresse car la gauche « n’a pas su faire les réformes nécessaires ».
En plus de leur incompétence notoire, ils nagent eux aussi dans les conflits d’intérêts.  En particulier dans le cas des économistes, souvent membres de conseils d’administration des grandes banques, hedge funds ou aux autres institutions financières. 
La France ne manque pourtant pas d’universitaires de qualité, alors pourquoi faire intervenir une fois par semaine Mr Barbier, rédacteur en chef du tabloïd l’Express, à l’émission du service public « C dans l’air » ? Il aura fallu que Thomas Piketty écrive un bestseller international pour être reçu sur les plateaux télévisés (en tant qu’économiste de gauche, bien que son livre ne remette en aucun cas le capitalisme en cause) et que Bernard Maris se fasse assassiner pour que son journal soit cité dans les revues de presse.
Ici encore, les experts ne sont que les produits d’un système. Difficile de leur reprocher leur manque d’intégrité et d’humilité lorsque leur carrière, le niveau de vente de leurs livres et le montant des honoraires de leurs conférences sont en jeux.
Les seuls débats contradictoires possibles sont ceux opposants deux hommes politiques aux divergences marquées. Or, si les journalistes servent volontairement la soupe aux experts et hommes politiques issus des partis « de gouvernement », le traitement des « opinions minoritaires », qu’il s’agisse d’un délégué syndical, d’un journaliste indépendant ou d’un élu, se fait sur un mode radicalement hostile.
Le caractère fermé et anti-démocratique du système médiatique français ne doit pas être minimisé, car les conséquences sont potentiellement graves, comme nous allons le voir.

Les effets de bulle du système médiatique


Par intérêt financier, effet de caste ou simple inertie mécanique, le système médiatique Français organise le débat dans un cadre bien défini (9). Les experts, éditorialistes et commentateurs disposés à s’épanouir dans ce cadre sont les bienvenus. L’islamophobie d’Éric Zemmour et d’Alain Finkielkraut ont pignon sur rue, car elle ne remet pas en cause le système économique. Mais sortir du cadre reste à peu près impossible, comme le démontrent quotidiennement les émissions de télévisions, les interviews radios et les éditoriaux de la presse écrite.
La remise en question de l’euro reviendrait à de la folie pure, envisager la sortie de l’UE  équivaut au mieux à du populisme, au pire à du fascisme. Vouloir renégocier les traités européens est une idée vouée à l’échec (10), la sortie du Nucléaire serait une absurdité et critiquer le libre-échange équivaudrait à du Stalinisme… Moins clivant, des simples idées comme la remise en cause de la rigueur budgétaire ou la nécessité de pratiquer une politique de hausse des salaires ne trouvent aucune tribune : ça ne fonctionnerait pas, nous disent les même experts et journalistes.
Le problème, c’est qu’à force d’enfermer le débat dans un cadre aussi restreint, minimisant avec dédain les quelques voix contradictoires et donnant la parole avec une complaisance inouïe aux candidats « du système », les électeurs qui eux, souffrent des conséquences de ces politiques « de bon sens »,  n’ont plus d’exutoire pour s’exprimer. Alors ils séquestrent des patrons, déchirent les chemises des DRH et votent front national.

Quelques exemples révélateurs


Honnêtement, depuis l’étranger, ces biais dépeints par les quelques organes de presse indépendante comme le Monde Diplomatique, Mediapart ou Acrimed et auxquels je viens de faire écho, me paraissaient un peu trop gros pour être vrais. Evoluais-je moi-même dans une bulle médiatique ? Pour le vérifier, je me suis remis à regarder des émissions politiques.
Les débats de la primaire de la droite furent instructifs à bien des égards. Organisés par des chaines privées et animés par des journalistes travaillant pour des milliardaires, les deux premiers débats brillèrent par un choix de questions intriguant (évitant les problématiques liées au réchauffement climatique et à la construction Européenne). Au-delà du fond, la forme pouvait paraitre troublante, les journalistes se faisant les porte-paroles des idées avancées avec un entrain atterrant (11). 
La palme revient cependant au service public. Mr Pujadas allant jusqu’à se faire invectiver par Fillon, Juppé et Sarkozy, les trois ténors lui reprochant de chercher à créer des polémiques et des disputes au lieu de les laisser s’exprimer sur les sujets de fond. Ce sont eux qui durent réclamer de parler de l’Europe, un comble.
Les présentateurs de TF1 seraient-ils aussi complaisants avec Mr Mélenchon ? Non. La première question posée à ce dernier, invité du JT pour parler de son programme, l’accuse d’avoir copié sur le programme du FN. Le reste de l’interview s’orientera vers le commentaire de la stratégie politique du PS, au grand dam de l’invité qui parviendra néanmoins à évoquer plusieurs points de son programme (12).
Certes, les débats de la droite et les interviews de Mélenchon ne sont pas nécessairement les lieux où peuvent s’exprimer les points de vue contradictoires. Par contre, c’est là tout le principe d’émissions du service public comme « C dans l’air ».

L’émission dédiée au « revenu universel » constitue un triste exemple de débat fermé. Pour défendre ce concept, un seul invité : Gaspard Koening, président d’un think tank ultra libéral. Face à lui, un expert économiste qui va s’efforcer de minimiser les idées pouvant justifier de l’intérêt du revenu universel, une économiste de gauche particulièrement remontée, une journaliste travaillant pour l’Opinion (orienté très à droite),  se disant elle aussi clairement opposée au concept, et l’incontournable arbitre Yves Calvi. Ce dernier sera le principal détracteur du sujet du jour :   « je ne sais pas si on gagne énormément, mais on perd beaucoup » conclura-t-il après l’exposé de Koening. Si la conception ultra libérale du revenu universel est exposée non sans mal, personne ne vient proposer la version « de gauche » et sa proposition la plus aboutie, théorisée par Bernard Friot. Un peu comme si on organisait un débat sur la sortie du nucléaire sans évoquer les énergies renouvelables.  
Seconde émission,  sur l’Europe cette fois, suivant le vote de rejet du référendum Italien. Sur les quatre « experts » conviés, tous sont européistes convaincus. Le seul qui s’autorise une critique de l’UE est le représentant des instituts de sondage, les trois autres se contentant de déplorer la situation sans en tirer d’autres conséquences que « les réformes sont nécessaires ». L’un d’eux allant jusqu’à juger les causes du sentiment anti-européen comme dû à un excès de régulation de la commission européenne qui empêcherait les forces du marché de s’exprimer librement. Un tel aveuglement est révélateur de l’état du système médiatique.
La présentatrice enfonce le clou en interpellant à plusieurs reprises ses invités par de sublimes  « bon ça fait des mois qu’on se trompe dans nos analyses, on avait même prédit un krach boursier après le vote Italien et le Brexit et il ne se passe rien, euh qu’en pensez-vous ?  » « Non non, circulez, il n’y a rien à voir » répondent les experts. Consternant.

Le choix des candidats


En plus de verrouiller les débats d’idée, le système médiatique tend à imposer ses acteurs. Sarkozy en 2007, Hollande en 2012 et Juppé en 2017 (13). Seulement, à force d’évoluer dans sa propre bulle, le système finit par se couper lui-même de la réalité. Il n’avait pas vu venir Donald Trump et fut pris de court par François Fillon, meilleur candidat que Juppé malgré leurs programmes similaires. Après la Juppémania, les journalistes semblent s’éprendre  pour Macron, candidat idéal d’un système désireux de conserver le statu quo. Car la « Révolution » de Macron, véritable blague qui risque de ne pas faire rire grand monde, ne promet de véritablement chambouler qu’une seule chose: le visage du pouvoir.
Si les partis pris sont de plus en plus visibles, les gens sont de moins en moins disposés à être pris pour des imbéciles. A ne rien vouloir changer et opter pour la politique du moindre mal, le système médiatique risque de pousser au pire. Mais ironiquement, le Front National reste probablement la seule chance de survie des éditorialistes. La peur fait vendre, l’espoir un peu moins.


(1)  Dans de nombreux interview, David Pujadas reconnait comme principal objectif de son journal de réduire l’écart d’audience qui le sépare de TF1, se ventant des résultats et admettant que ces chiffres sont regardés tous les jours par sa rédaction. https://www.youtube.com/watch?v=OWCqcRI7qCs

(2)  Citation de mémoire, il pourrait s’agir d’une autre des trois grandes chaines américaines

(3)  alors que le budget de campagne du candidat de l’establishment républicain, Jeb Bush, ne dépassait pas les 25 millions de dollars

(4)  Lire « Tir groupé contre Bernie Sanders », le monde diplomatique, décembre 2016.


(6)  Franz-Olivier Gisberg dans “les nouveaux chiens de garde » : « il est normal que le pouvoir s’exerce »

(7)  En particulier, les liens entre journalistes vedettes et hommes politiques démontrent une connivence de « caste ». Quelques exemples : Ockrent mariée à Kouchener, Montebourg et Pulvar, DSK et Anne Sinclair, Valerie de Senniville (les Echos) et Michel Sapin, Nathalie Bensahel, journaliste au Nouvel Observateur et Vincent Peillon, Jean-Louis Borloo et Béatrice Schönberg …



(10) Attali, répondant à Mélenchon sur le plateau de France télévision. https://www.youtube.com/watch?v=_6pppGOMX4A





lundi 5 décembre 2016

2017: vers une élection présidentielle Historique

La victoire aux primaires de François Fillon et l’abandon de Mr Hollande marquent le début d’une campagne présidentielle qui s’annonce plus que jamais Historique.

Premièrement, personne ne semble désormais remettre en cause la qualification au second tour de Marine Le Pen. De nombreux observateurs vont jusqu’à juger sa victoire tout à fait possible (1). L'acceptation pure et simple de la qualification du FN, sans réelle remise en question  ni des causes, ni des conséquences, trahit une certaine abdication devant la montée de l’extrême droite et de ses idées.

Face à la candidate du parti xénophobe, François Fillon apparaît comme l'alternative la plus crédible. Or, jamais candidat aussi « libéral » et déterminé à remettre en question le modèle social Français aussi ouvertement ne s’était présenté à une élection présidentielle.
L'intuition voudrait que devant cette vague d’extrême droite et de droite « dure », le président de la république se dresse en défenseur du modèle social, de la classe ouvrière et des valeurs dites « progressistes ». Mais son taux d’impopularité, lui aussi qualifiable d’historique, l’a contraint à jeter l’éponge. A en croire les sondages, quel que soit son remplaçant, ce dernier arrivera au mieux troisième et plus certainement derrière Mélenchon et Macron.

La gauche jouit pourtant d'une configuration rêvée pour l'emporter. Elle bénéficie d'adversaires clairement opposés à ses valeurs (xénophobe pour l'un, ultra libéral pour l'autre, tous deux conservateurs). Les avertissements exprimés par le brexit et la victoire de Trump, les signaux positifs de baisse du chômage et l'absence de candidature du président sortant constituent autant d'atouts potentiels.  Malgré tout, la gauche au sens large semble condamnée à voter Fillon au second tour pour faire barrage au FN.

Pour comprendre cet apparent paradoxe, il faut examiner en détail les causes qui ont propulsé Fillon au rang d'archi-favori et mis Hollande hors-course.





1)  La victoire de François Fillon

La surprenante ascension de François Fillon a pris tout le monde de court (2), cependant elle semble rétrospectivement logique. Elle confirme tout d’abord le sentiment de besoin de renouveau. Exit Sarkozy.  Elle s’inscrit également dans un mouvement général de défiance vis-à-vis du « système » dans le sens où elle représente la victoire de l’outsider sur les deux grands favoris. Certains argumentent que les sondages ont en réalité propulsé la victoire de Fillon en accompagnant presque artificiellement sa progression dans une sorte de prophétie auto-réalisatrice (3). Quoiqu'il en soit, une chose paraît évidente : Juppé s’est trompé de campagne. En se plaçant au centre tout en proposant, à quelques détails technocratiques près, le même programme social et économique que Fillon, il avait peu de chance de convaincre ni les centristes, ni la droite dure. Or, surprise, ce sont bien les électeurs de droite, les vrais, qui se déplacent pour voter à la primaire.

Plébiscité par les chefs d'entreprise pour son programme libéral et par le noyau dur de la manif pour tous pour ses positions conservatrices et traditionnelles,  François Fillon se voit d’un seul coup élevé au rang d’archi favori de la présidentielle, malgré un positionnement néo-libéral difficilement défendable à l'échelle nationale, en théorie du moins.

En réalité, l'ascension des idées de Fillon s'explique assez bien. Depuis cinq ans, la gauche au pouvoir a conduit une politique de centre droit sur pratiquement tous les fronts. Pour survivre, la droite ne pouvait que se démarquer en proposant une alternative plus libérale, plus à droite que le modèle du quinquennat de Sarkozy. Suivant cette logique, tous les candidats à la primaire se sont positionnés très à droite, et le plus libéral et conservateur d'entre eux a remporté l'élection.. En ce sens, la victoire de Fillon apparaît comme la conséquence logique de la politique menée par François Hollande. 



2)   La défaite de François Hollande

Le renoncement du président sortant à se représenter sera probablement la décision la plus commentée de son quinquennat. Mais avait-il le choix ? En 2012, Hollande avait mené une campagne axée sur le rejet de Sarkozy et sa dérive identitaire, la remise en cause des politiques d’austérités, la refonte du système de l’impôt et la lutte contre son seul ennemi, la finance. Sans chercher à dresser ici son bilan complet, on notera tout de même une suite de décisions qui lui auront fait perdre le soutien de son électorat.

Après avoir rapidement  plié aux exigences de Bruxelles, il  applique sans fléchir ses recommandations : austérité budgétaire, réduction des charges sur les entreprises et fluidisation du marché du travail. Ses marges de manœuvres étroites peuvent expliquer ces choix, mais ne justifient pas d'avoir abandonné la réforme de l'impôt « Piketty » porté par le Parti Socialiste, ni la nomination de Manuel Valls à l’intérieur pour  poursuivre avec lui les politiques sécuritaires, et plus dommageable, la rhétorique identitaire de Nicolas Sarkozy. La complicité dans l’écrasement de la gauche grecque par l’Allemagne pour protéger les intérêts de cette fameuse Finance viennent s’ajouter à la gestion catastrophique de la situation au Moyen-Orient. Non content d’avoir tenté de pousser les Etats-Unis à bombarder dès 2013 l’armée de Bachar en Syrie (action qui aurait vraisemblablement débouchée sur la victoire de l’EI dans cette région), il engage la France dans des bombardements massifs en Iraq aux côtés des américains, sans aucun discernement.

Quelques mois plus tard, les attentats de Paris font des centaines de morts et démontrent que peu de moyens avaient été mis à la disposition des forces de l’ordre depuis la tragédie de Charlie Hebdo et de l'hypermarché casher.

Face à cette menace historique, Hollande avait l’opportunité d’adopter une posture d’homme de gauche qui aurait fait école. Au lieu de cela, il paraphrase Georges Bush Junior, déclare la guerre au terrorisme et proclame l’état d’urgence permanent. Ce qui n’a pas empêché de nouveaux attentats aussi meurtriers qu’atroces, ni sa chute dans les sondages, ni à la Russie de  massacrer des milliers de civils en Syrie et de jeter des millions d’immigrants sur les routes. Cerise sur le gâteau, la décision de promouvoir la loi de déchéance de nationalité, imaginée par le front national et reconnu, y compris par le gouvernement, comme symbolique et inutile, achève de diviser son camp et l’oblige à recourir au 49-3 pour faire passer les lois Macron et El Khomri, après avoir au passage jeté dans la rue des millions de Français et dépouillé ces textes d'une partie de leur substance.

Sans parler des réformes faites ou abandonnées, ce qui ressort de ce quinquennat est avant tout une véritable destruction de la gauche en général et du PS en particulier (4). A cela, il faut ajouter la prouesse d’avoir achevé de banaliser les thèmes du FN et de pousser la droite républicaine à se durcir, comme le démontre le triomphe de François Fillon.

Contraint de renoncer à se présenter après la sortie d’un livre malvenu et l’abandon de la plupart de ses soutiens, il laisse l’extrême droite plus forte que jamais, la droite renforcée et la gauche dévastée.

3) Des enjeux sans précédants

Plus qu'une querelle de personne, cette élection risque d'avoir des conséquences historiques sur la politique de la France. Nous aurons l'opportunité dans les mois qui viennent d'examiner les principaux points, mais mentionnons tout de même certains éléments décisifs dès à présent.

Le premier concerne l'avenir de l'Europe. Le Pen et Mélenchon veulent potentiellement en sortir, ou du moins renégocier les traités: soit pour en finir avec Schengen et la coopération européenne,  soit pour en finir avec l'austérité budgétaire et le libre-échange. En fonction du candidat qui gagnera la primaire du PS, le camp de la remise en cause pourrait même s'élargir, ne laissant que Fillon et les candidatures plus ou moins centristes pour défendre le fameux "status quo". A travers ce débat, on voit également se profiler l’opposition protectionnisme contre néo-libéralisme. Sachant que le premier a devancé le second aussi bien aux Etats-Unis qu’au Royaume Uni, et que le camp protectionniste est pour l’instant uniquement incarné par les « extrêmes », on réalise l’importance de cette question.

Le second concerne la politique étrangère. Marine Le Pen, financée par la Russie, veut un rapprochement géopolitique avec cette dernière, tout comme François Fillon. Au risque de laisser Poutine annexer de nouveaux territoires européens et de faire éclater l’UE. Les autres candidats se rangent principalement du côté de l'axe américano-allemand, partisan de l’Europe de la défense et d'un bras de fer avec la Russie dont les conséquences militaires pourraient être encore plus catastrophiques qu'un éclatement politique de l'UE. Entre ces deux alternatives, quelques voix comme celle de Mélenchon appellent à une approche plus mesurée.

La troisième concerne le modèle social Français, qui n'a objectivement que peu de chance de survivre dans la forme héritée du CNR de 1945. En fonction du candidat qui sortira de la primaire du parti socialiste, il faudra peut-être regarder à la gauche de celui-ci pour trouver un programme ne proposant pas de remettre en question l'existence de l'assurance maladie, de la retraite par redistribution et de l'assurance chômage  comme on l'a connait.

Enfin, on pourra noter l'éducation, qui serait en partie privatisée par Fillon et Le Pen et probablement modifiée par d'autres candidats, le déficit budgétaire qui risque presque systématiquement d'exploser et les institutions de la cinquième république profondément remises en questions par pratiquement tous les candidats.

Il semblerait donc que le résultat, quel qu’il soit, aura des répercussions significatives sur l’avenir du pays.

4)  La clé de l’élection 2017


Partout dans le monde, les "extrêmes" triomphent. Pas ceux de gauche, écrasés en Grèce par la Troika européenne, et aux USA par le système médiatique (Bernie Sanders avait été victime d’une formidable campagne de marginalisation (5)) mais bien ceux de  droite.

Dans ce contexte, la classe ouvrière ou plus généralement la classe des « oubliés de la mondialisation », peu éduquée, vieillissante et rurale semble être le nouveau faiseur de roi. Faisant basculer le Royaume Uni du côté du Brexit, mettant Trump au pouvoir et dans de nombreux pays européens l'extrême droite au gouvernement. Ce sont bien ces électeurs, votant jadis à gauche ou à l’extrême gauche, qui viennent peu à peu renforcer les rangs du front national.

Pourtant, les baisses d'impôts sur les riches et la suppression de la couverture santé promis par Donald Trump, l'augmentation des prix à la consommation et la  fin des aides européennes aux régions défavorisés suite au Brexit  sont autant de conséquences pénalisant directement cette classe sociale.

D’où une question fondamentale : pourquoi autant d’électeurs votent contre leurs propres intérêts ?

La réponse avancée par les éditorialistes américains se résume à deux préjugés: ces électeurs sont racistes, et idiots.

Le premier est facile à démentir: ce sont les mêmes électeurs qui avaient élus Barack Obama, un noir, deux fois de suite à la maison blanche. Dans le cas de la France, ce sont ceux qui avaient permis à l'extrême gauche de totaliser un score de 16,3% au premier tour en 2002.

Le second ne résiste pas non plus à une analyse objective de l'histoire récente.

Aux Etats-Unis, les gouvernements successifs de droite comme de gauche se sont fait les champions de la mondialisation. Clinton allant jusqu'à vanter les traités commerciaux devant les banquiers de Wall Street (contre de belles sommes d'argent qui plus est). Pour des raisons géostratégiques plus qu’idéologiques, Barack Obama s'est également efforcé de mettre en place deux nouveaux traités de libre échange au cours de son mandat: un premier avec  l'UE et un second avec l'Asie (à l'exception de la Chine, dans un but d'isolement commerciale de cette dernière).

En France, la gauche comme la droite n'ont eu de cesse de continuer la construction Européenne basée sur une doctrine de libre échange et de mise en concurrence de tous les secteurs de l'économie. Le refus de reconnaître la victoire du non au référendum de 2005 et la poursuite des politiques d'austérité depuis 2010 (contre les recommandations du FMI) aura achevé de décrédibiliser l'offre politique classique. Pour exprimer leur mécontentement, car ce mécontentement ne peut que chercher à s'exprimer, les électeurs ne possèdent que deux options.

La première est celle offerte par "l'extrême gauche". Incarnée aux Etats-Unis par Bernie Sanders, en Europe par Podémos, Syriza et en France par Mélenchon et les communistes. Dans chaque cas, le fameux "système" semble s'être érigé en défenseur de l'ordre établis, contribuant à décrédibiliser et marginaliser l'option "de gauche". C'est particulièrement vérifiable dans le cas de Bernie Sanders et de Syriza. Mais il suffit de revoir l'interview au 20h de TF1 de Jean Luc Mélenchon daté du 2 décembre pour se rendre compte du travail de sape effectué par le système médiatique (le journaliste ouvre l'interview en demandant à Mélenchon s'il a copié son programme sur celui de Marine Le Pen, avant de chercher à le mettre systématiquement en difficulté, forçant ce dernier à reprendre les propos inexact du journaliste).

Avec la solution de gauche marginalisée, il ne reste plus à l'électeur en colère qu’à voter pour le seul parti soit disant alternatif, l'extrême droite.


La campagne devrait donc se cristalliser autour de deux axes: la bataille pour les électeurs "laissés pour compte" et la justification médiatique de ce qui est "crédible" et ce qui ne l'est pas.

La victoire inattendue de Fillon et l'abandon non moins surprenant de François Hollande redistribue un peu les cartes, aussi bien au centre qu'à gauche.

Une chose est sûre, la campagne s'annonce à la hauteur des enjeux: historique.


Notes et références: 

  1. Entre autre, Sylvie Kauffmann, ex-directrice de la rédaction du monde, dans une tribune publiée dans le New York Times, et Nicole Gnesotto, présidente du conseil d'administration de l'Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale, professeur, titulaire de la chaire sur l’Union européenne au (CNAM) au micro de “l’esprit public”
  2. En particulier François Hollande, comme en témoigne les extraits du livre “un président ne devrait pas dire ça”.
  3. Alain Garigou, « comment les sondages ont fait gagner Francois Fillon »: http://blog.mondediplo.net/2016-11-24-Comment-les-sondages-ont-fait-gagner-Francois
  4. René Lefebvre, L’autodestruction du Parti socialiste, le monde diplomatique Juillet 2016. http://www.monde-diplomatique.fr/2016/07/LEFEBVRE/55959
  5. En particulier par le Washington Post et le New York Times, deux titres phares de la presse démocrate aux Etats-Unis. Cf « Tir groupé contre Bernie Sanders » Le Monde diplomatique Décembre 2016.


mercredi 23 novembre 2016

Debrief: premier tour de la primaire de la droite et du centre

Ouf ! Les élections continuent de nous amener des surprises. Petite analyse de l’entre deux tours de ce qui pourrait bien constituer le scrutin le plus important des cinq prochaines années.


1)  Les enseignements  du premier tour


La défaite de Nicolas Sarkozy


Avant de parler de la large victoire de François Fillon, revenons un instant sur la défaite de Nicolas Sarkozy.

Depuis son arrivée au ministère de l’intérieur en 2002, Mr Sarkozy n’a eu de cesse de diviser la population française à coup de politiques réactionnaires, de phrases clivantes et populistes et de mesures xénophobes. Signant la fin de la police de proximité dans les banlieues afin de les « nettoyer au karcher » pour en supprimer « la racaille ». Mettant en place une politique de déportation souvent inhumaine tout en fustigeant de manière populiste les Roms, les musulmans et les immigrés.  Au fil des années, ses appels du pied aux électeurs du front national ont fini par brouiller les pistes et banaliser les thèmes de ce dernier, au point de permettre à Marine Le Pen de juger sa proposition d’incarcérer préventivement dans des camps de dé-radicalisation les individus listés sur fichier S comme « anti-républicaine ». 

Lors des débat,  ses propos visant à attiser les peurs (des centaines de millions d’Africains, six enfants par femme, prêts à profiter du regroupement familial pour venir en France égorger des curés (1)) ne lui auront pas permis de se qualifier pour le second tour.

Un président battu à sa propre réélection, revenant en politique avec comme seule proposition un surplus de populisme et de xénophobie, n’aura finalement pas réussit son pari. Sans même mentionner les affaires dans lesquels il est mis en cause, nous pouvons nous féliciter de le voir forcé de tirer sa révérence. 

Pourquoi a-t-il perdu ? Il semblerait que sa stratégie anti-centriste, visant à déstabiliser Juppé, ait profité à François Fillon. Mon optimiste me pousse également à penser que les électeurs se sont attachés à démontrer qu’il ne faut pas trop prendre les Français pour des cons (2). 

L’absence notoire de sondages d’opinion en sortie des urnes (pourtant si riches en enseignements dans le cas des Etats-Unis et de l’Angleterre) ne permet pas de savoir quel a été le rôle des électeurs du Front National et de la gauche, qui représenteraient entre 10 et 25% de la participation (3). Ont-ils votés par calcul pour Sarkozy, par conviction pour Juppé ? Une chose est sûre, ils n’ont pas voté pour Copé, dont les 0.3% sont une seconde bonne nouvelle pour toute personne se disant « républicaine ».


La participation

Plus de quatre millions de Français sont allés voter, soit dix pour cent du corps électoral. 

Cette forte participation est-elle le signe d’un engouement pour les valeurs de la droite et du centre ?   A en croire le fameux sondage (3), non. Néanmoins, la première place de François Fillon, arrivé largement en tête, remet sur le devant de la scène une partie de l’électorat que l’on aurait tendance à sous-estimer facilement. Non pas l’électorat populaire type Trump/Brexit, mais, semblerait-il, l’électorat catholique,  de droite dure, attaché aux valeurs traditionnelles et de ce fait à la posture conservatrice de Mr Fillon. Ce sont bien eux, devant les potentiels électeurs de gauche, qui ont bouté Sarkozy hors de cette primaire en reportant leurs voix sur Fillon. 


Les sondages

Une fois de plus, les sondages avaient complètement faux. Mais avec autant d’inconnues (la participation, en quantité comme en qualité) et un dernier débat à deux jours du scrutin, saisir une tendance ne semblait pas chose facile.

On retiendra que les calculs politiques semblent remis en question, puisqu’ils s’appuient tous sur les fameux sondages d’opinions. Fillon avait clos le troisième débat par une phrase efficace qui résonnera chez beaucoup de personnes, quelle que soit leur opinion politique : 

 « Nous les Français, nous sommes un peuple fier. Et nous n’aimons pas qu’on nous dicte nos choix. Dimanche prochain, je dis aux français qui nous regardent, n’ayez pas peur, n’ayez pas peur de contredire les sondages et les médias qui avaient déjà tout arrangé à votre place. Ne faites pas de calcul. Ne choisissez pas de voter pour un candidat pour en éliminer un autre, choisissez de voter pour vos convictions, c’est le seul choix qui est digne de vous, et c’est le seul choix qui est digne de la France. »

Les experts ne l’avait pas vu venir, il suffisait pourtant de regarder les débats


Juppé vs Fillon

Le maire de Bordeaux sort incontestablement affaibli de ce premier tour. Le positionnement  « centriste et rassembleur » n’a pas payé. En ces temps de « révolte populaire » le candidat poussé par les sondages et les grands médias accuse désormais plus de six cent mille voix de retard. Un handicap qui peut paraitre insurmontable quand on sait que Sarkozy a explicitement apporté son soutien à François Fillon, choix politiquement logique. Depuis l’annonce des résultats, les autres soutiens se précipitent aux pieds du nouveau faiseur de roi, pour la simple raison que personne ne veut parier sur le cheval perdant. Cet élan politique devrait permettre à François Fillon de remporter facilement le second tour. Devrait, car il serait bien présomptueux de conclure trop vite à la défaite d’Alain Juppé.
Pourquoi est-il en si mauvaise posture ? A mon sens, en plus d’être apparu comme le candidat du système médiatique, c’est du côté de sa performance aux débats qu’il faut regarder. A ne vouloir froisser personne, on finit par ne pas séduire grand monde non plus.

A l’inverse, Fillon a adopté une posture complètement assumée, sans s’excuser de ses opinions parfois extrêmes. L’authenticité paye. Lorsque Hillary Clinton avait accusé Trump de ne pas payer d’impôt, il avait répondu « ça fait de moi quelqu’un d’intelligent ».  Reste à savoir si ces électeurs fraichement acquis ne feront pas demi-tour lors du second tour !


2) Le second tour : analyse rapide


Le duel Fillon-Juppé

Alain Juppé l’a annoncé d’entrée, ça sera un duel programme contre programme. Les médias l’ont pris au pied de la lettre et nous vendent un match entre l’ultra libéral et conservateur Fillon contre le social-libéral et modéré Juppé. 

Les différents sites internet comparent les programmes (4). Pour les résumer, rien de tel qu’un petit  graphique dit de « référentiel Pol Fiction ». 

1) Fillon et Jupé sur le référentiel Pol Fiction, tel qu’on nous le présente dans les principaux médias :





2) La réalité :



Comme vous pouvez le constater, j’ai du « zoomer » sur le graphe pour différencier de façon intelligible les deux candidats. En réalité, leurs programmes sont si proches qu’il est presque comique de lire les fameux articles traitant des « différence de programme ». 

Mis à part les variables d’ajustement technocratique (combien de fonctionnaires en moins, de places de prison en plus, de baisse d’impôts, de points de hausse de la TVA…) il n’y a en réalité que deux différences fondamentales.

La première concerne un petit groupe de personne, la seconde l’Europe tout entière. 

Ainsi, Fillon veut « restreindre » l’adoption des couples homosexuels, tandis que Juppé y est « favorable » (5). Si on ajoute sa position clairement contre le Burkini, cela fait de Fillon le champion de la droite catholique et lui permet de gagner le soutient non négligeable des héritiers de la manif pour tous. Plus sérieusement, on peut parler de différence de valeur, Fillon étant un catholique affirmé tandis que Juppé se veut plus « progressiste ». 

Le second concerne la politique étrangère de la France, en particulier vis-à-vis de la Russie. C’est un point essentiel sur lequel nous allons revenir par la suite.

Compte tenu de ces faibles différences objectives, le duel va se faire à priori plus sur les personnes que sur les programmes, n’en déplaise à Juppé. Bien sûr, Fillon adopte une posture médiatique plus « libérale » dans le but de se différencier (cf. premier tour) et de rassembler le noyau dur de la droite. Mais ses mesures emblématiques (comme la suppression surréelle des 600.000 fonctionnaires tout en augmentant de 50.000 le nombre des policiers, ou la suppression de la durée légale du travail) ne sont là que pour assurer un positionnement politique. 

A la lumière des précédents débats, il parait douteux qu’Alain Juppé parvienne à inverser la tendance. Les électeurs de droite vont choisir un candidat pour gagner, et compte tenu du succès de Fillon au premier tour, le choix semble s’imposer de lui-même.


La politique étrangère.

Fillon a un avantage considérable : dans un domaine extrêmement complexe, son message est extrêmement simple : on se rapproche de la Russie.

Après avoir réussi à faire élire Trump, Poutine doit jubiler dans son bureau du Kremlin.

Honnêtement, je pense que les questions de politique étrangère sont les plus complexes à trancher. Je vais donc faire de mon mieux pour résumer la question, dans la limite de mes compétences.

La Russie mène une politique d’expansion dans une logique de guerre froide (6). Après avoir envahi la Crimée et poussé l’Ukraine à la guerre civile, déclenchant à l’initiative des Etats-Unis et de l’Allemagne des sanctions économiques (la France ayant dû annuler la livraison de deux frégates à la Russie et lui rembourser 1.2 milliards d’euro (7)), l’ex URSS a poursuivi un réarmement qui a conduit les Etats-Unis à augmenter les forces en présence aux frontières dans une escalade dénoncée par le monde diplomatique (6) comme dangereuse, et plutôt à l’initiative des occidentaux. 

La Russie a ensuite pris pied avec une redoutable efficacité au proche orient en assurant le maintien de Bachar Al Asad au pouvoir au prix d’un véritable tapis de bombes, la chose la plus éloignée possible des frappes chirurgicales d’Obama. Sans surprise, ces bombardements massifs ont été efficaces, écrasant tout ce qui se dressait contre Bachar (les rebelles armés par les Américains et la France bien plus que les Djihadiste de l’EI) avec comme conséquence des millions de migrants déplacés (1 million en Allemagne, deux ou trois en Turquie).

Les Européens sont coincés car l’action russe porte ses fruits (avec des dégâts collatéraux difficilement acceptables) et le jeu des alliances internationales ne leur laisse quasiment aucune marge de manœuvre. 

S’allier avec la Russie pose problème dans de nombreux cas. Non seulement on cautionne un drame humanitaire, mais en plus on s’expose à de profonds dilemmes si Poutine se fâche avec la Turquie (qui menace de pousser deux millions de migrants vers l’Europe) et si Poutine se décide à répéter l’expérience Ukrainienne dans un autre pays de l’Europe de l’Est (l’Estonie, membre de la zone Euro,  vient d’élire un président pro-russe). En clair, on se met à sa merci. 

Poutine a intérêt, semble-t-il, à continuer sa logique de guerre froide pour des raisons de politique intérieure. L’économie Russe fait la taille de l’économie espagnole et est mise à mal par l’effondrement du prix du pétrole et les sanctions économiques. Pourtant, les Russes admirent Poutine. La raison est simple : la mentalité russe est très différente de la mentalité européenne et les questions de prestige international et de nostalgie de grande puissance sont plus importantes à leurs yeux que les aspects économiques (8). De plus, Poutine contrôle l’ensemble des médias russes et s’en sert pour rendre l’occident coupable de tous les maux (pas entièrement à tort puisque les USA et l’Allemagne ont imposé des sanctions et que les USA ont causé l’effondrement du cours du pétrole). Les chaines russes manipulent les faits avec une force qui ferait passer FoxNews pour Mediapart en comparaison. 

Dernier élément, Poutine s’érige en nouveau gardien de la foi Chrétienne. La nouvelle cathédrale construite à Paris a été financée par son gouvernement et le dictateur devait se rendre à Paris le mois dernier pour l’inaugurer. François Hollande lui a refusé ce privilège, jugeant assez inopportun de s’afficher avec Monsieur Poutine pendant que ce dernier violait le cessez le feu d’Alep.
  
Dans ce contexte, la russophilie de Fillon inquiète les experts. Mais les va-t’en guerre américains inquiétaient tout autant les même experts (9), d’où une certaine difficulté à se faire une idée de la meilleure position à adopter (si tant est que la France ait réellement le choix). Une chose est sûre, avec Donald Trump à la maison blanche et Poutine qui réarme la Russie à toute vitesse et vient de rouvrir le KGB, l’avenir est incertain. 


Pour qui voter ?

Les électeurs de droite doivent choisir leur champion, et s’ils peuvent s’accommoder des connivences russes de ce dernier, Fillon semble l’homme de la situation. Je dis cela en me basant entièrement sur les prestations télévisuelles et le fait que pas loin de 2 millions de français aient voté pour lui au premier tour de la primaire.

Le débat de ce jeudi devrait permettre de trancher, pour les indécis du moins. 

Comme Fillon l’a très bien dit lui-même, voter par calcul semble particulièrement contreproductif. Combien d’électeurs du FN seraient séduits par le vote Fillon ? Que fera Bayrou ? Quel candidat sera le plus à même de passer au premier tour, et de battre Marine Le Pen au second (si tant est que les sondages aient raison sur ce point…) ? Fillon mobilisera probablement d’avantage la gauche contre lui et le vote blanc au second tour s’il affronte Le Pen. Mais il permettra peut-être à Hollande de se présenter, à Macron de décoller….  Juppé à plus de chance de l’emporter au second tour, quel que soit son adversaire, s’il y parvient…Bref, les calculs sont voués à l’échec. 

Si vous êtes de gauche, la première question qui se pose est pourquoi diable aller voter ? Je vous ramène au graphique de la première partie…

Seulement, un vote à la primaire comptant dix fois plus qu’un vote à la présidentiel (du fait de la participation), donner son avis peut être tentant. Voter par calcul n’étant pas acceptable, il ne vous resterait plus qu’à voter Juppé, si vous êtes particulièrement inquiet par le virage pro-russe que promet Fillon, ou son conservatisme qui risque de mettre à mal les droits des couples homosexuels.  Ce sont là des raisons acceptables, mais n’oubliez pas que chaque vote à cette primaire donne de la force et légitimise le futur vainqueur, quel qu’il soit.

L’utilisation des thèmes du FN, le débat sur le burkini et toutes ces choses pas très jolies s’inviteront dans la campagne, d’une façon ou d’une autre. Mais réjouissez-vous, ça ne sera plus à l’initiative de Nicolas Sarkozy. ..

Prochain article après les résultats, je ne serai effectivement pas en mesure de débriefer le débat de Jeudi soir pour cause de vacances :)


(1) Paraphrase de Nicolas Sarkozy, à partir de deux interventions mis bout à bout lors du premier débat, citation « de mémoire ».
(2) Si je peux me permettre ce langage 
(3) Sondage réalisé pour BFMTV le jour du vote sur un échantillon de 675 électeurs montrant que 63% des électeurs sont « de droite ou du centre », 15% de gauche, 14% sans préférence et 8% du FN. Cela revient à dire que les électeurs directement concernés se sont déplacés en même nombre que les électeurs de la primaire à gauche (2.8 millions). 
(4) Voir lemonde.fr, lci.fr, lefigaro.fr, Marianne…
(5) Lci.fr
(6) https://www.monde-diplomatique.fr/2014/09/HALIMI/50753 
(7) http://www.lemonde.fr/international/article/2015/08/06/la-france-n-aura-a-verser-aucune-penalite-pour-la-non-livraison-des-mistral-a-la-russie_4714762_3210.html
(8) Après avoir travaillé avec de nombreux ingénieurs russes « occidentalisés », je peux en témoigner.
(9) Idem (6), plus l’émission « l’Esprit public » du 16/10/2016